Chapitre 15

 

 

Le rêve commença comme avaient débuté de nombreux autres pour moi à la Féerie, c’est-à-dire au sommet d’une colline. Je savais qu’elle n’était pas réelle, mais qu’elle correspondait plutôt à l’idée que l’on se fait de versants verdoyants. Je ne savais pas si elle existait vraiment en dehors des rêves et visions, ou s’il s’agissait du modèle original de toutes les autres. La plaine qui s’étendait en contrebas, couverte de verdure, foisonnait de champs cultivés. Depuis le sommet, j’avais suivi le déploiement des troupes de guerriers qui s’approchaient de la Féerie, et j’avais vu cette plaine aride, morte qui, à présent, renaissait à la vie. Le blé qui y poussait était doré, comme au début des moissons d’automne. Mais on y voyait d’autres champs avec des légumes, où les plants étaient encore petits, émergeant à peine de la terre riche. La plaine, comme la colline, représentait un idéal. Que le sol soit solide sous mes pieds – et je savais que si j’en descendais, je pourrais toucher ces plantes, frotter les épis entre mes mains et voir les grains se libérer de leur enveloppe sèche, tout cela était bien concret – ne changeait rien à la réalité ni à l’irréalité de cette scène.

À côté de moi se trouvait un arbre, un gigantesque chêne aux branches déployées qui présentaient en partie les toutes nouvelles feuilles du printemps, et d’autres plus développées avec les minuscules amorces des glands, puis un feuillage de fin d’été avec les fruits verts beaucoup plus gros, et enfin d’un marron annonçant le chatoiement de l’automne, prêts à être prélevés. Tout cela jusqu’à une section dénudée par l’hiver avec seulement quelques glands et feuilles brunes desséchées qui s’y trouvaient encore accrochés. Les yeux levés vers cette dentelle sombre que formait la ramure, je constatai qu’elles n’étaient pas mortes, seulement au repos. Lorsque cet arbre m’était apparu pour la première fois, il avait été dénué de vie ; mais à présent, il était comme il devait être.

Je touchai l’écorce qui dégageait cette énergie profondément enfouie des arbres très anciens. On avait l’impression qu’en étant particulièrement attentif, on pourrait la percevoir, pas l’entendre, plutôt la ressentir en le touchant de ses mains, ou la joue appuyée contre ce tiède tronc rugueux qui, si on l’enlaçait fermement, permettrait de sentir contre son corps la vie de cet arbre trépidant. Cela ressemblait à un profond et lent battement de cœur ayant commencé sous cette forme ramifiée, avant qu’on comprenne qu’il s’agissait en fait de la Terre elle-même, comme si la planète avait son propre rythme cardiaque.

Un moment, je la sentis pivoter sur son axe et me retins à l’arbre, qui paraissait être mon point d’ancrage au cœur de cette réalité. Puis je me retrouvai au sommet de la colline, et il me sembla ne plus ressentir le pouls de la terre. Un cadeau surprenant de sentir ainsi le chantonnement diffus et le flux de la planète même, mais j’étais mortelle, et ses battements de cœur ne sont pas supposés nous parvenir. Nous pouvons cependant avoir quelques perceptions du divin, mais vivre à chaque instant avec une telle connaissance requiert d’être un saint ou un illuminé, voire d’avoir l’esprit des deux.

Je sentis des roses et me retournai pour apercevoir la silhouette de la Déesse enveloppée d’une houppelande. Elle me dissimulait toujours Son visage, si bien que je ne pouvais entrapercevoir que Ses mains, ou la ligne de Sa bouche, et chacun de ces aperçus différait, donnant l’impression qu’Elle avançait comme reculait en âge, en couleur, en tout. Elle était la Déesse, Elle incarnait toutes les femmes, l’idéal de tout ce qui est essentiellement féminin. Elle me faisait penser à ce battement de cœur terrestre. On ne pouvait la voir très distinctement, ni la retenir nettement dans son esprit, pas sans devenir trop saint pour vivre ou trop cinglé pour pouvoir exister. Le contact avec la Divinité peut se révéler une merveilleuse expérience, mais qui pèse lourd.

— Si cet endroit était mort, ce n’aurait pas été simplement la Féerie qui serait morte avec lui, Meredith.

Sa voix reflétait, de même que ces détails que l’on percevait brièvement de Son corps, bon nombre de voix fondues en une seule si bien qu’il était impossible de discerner précisément celle qui était réellement la Sienne.

— Vous voulez dire que la réalité est également liée à ce lieu ? demandai-je.

— Et n’est-il pas réel ? s’enquit-Elle à son tour.

— Si, il est réel, mais sans appartenir à la réalité. Nous ne sommes ni à la Féerie, ni dans le monde des mortels.

Elle acquiesça de la tête et j’aperçus un sourire, comme si ce que je venais de dire avait été futé. Je souris. Comme quand vous êtes tout petit et que votre mère vous fait un sourire, vous le lui retournez car son visage radieux représente tout pour vous, et que de ce fait tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Pour moi, quand j’étais enfant, cela avait été le sourire de mon père et de Mamie.

Le chagrin me percuta alors comme un coup en plein cœur. La vengeance et la Meute Sauvage l’avaient d’une certaine manière mis de côté dans mon esprit, mais il était toujours là, m’attendant, à l’affût. On ne peut se planquer du chagrin, seulement retarder le moment où il vous rattrape.

— Je ne peux empêcher mon peuple de choisir de faire le mal.

— Vous m’avez aidée à sauver Doyle et Mistral. Pourquoi ne pouvions-nous sauver Mamie ?

— Voilà la question d’une enfant, Meredith.

— Non, Déesse, c’est une question humaine. Je voulais autrefois être Sidhe par-dessus tout, mais c’est mon sang humain, mon sang farfadet, qui est ma force.

— Crois-tu vraiment que je pourrais me présenter à toi ainsi si tu n’étais pas la fille d’Essus ?

— Non, mais si je n’étais pas également la petite-fille d’Hettie, et l’arrière-petite-fille de Donald, alors je n’aurais pu traverser tout un hôpital humain pour sauver Doyle. Ce n’est pas seulement mon sang sidhe qui fait de moi l’instrument qui Vous est nécessaire.

Elle restait là, debout, Ses mains enfouies dans Sa houppelande, toute Sa personne dans l’ombre.

— Tu es en colère contre Moi.

Je m’apprêtai à démentir, lorsque je réalisai qu’Elle avait mis le doigt dessus.

— Tant de morts, Déesse, tant de complots. Doyle a failli perdre la vie à deux reprises en quelques jours à peine. Frost est maintenant perdu pour moi. Je protégerai mes sujets ainsi que moi-même.

Je touchai mon ventre encore plat, ne donnant aucunement la sensation de ce premier renflement de la grossesse. Un instant, la peur m’étreignit.

— N’aie crainte, Meredith. Tu ne te vois pas encore comme enceinte, et donc, l’image que tu as de toi en songe ne l’est pas.

Je tentai d’apaiser l’emballement soudain de mon pouls.

— Merci.

— En effet, la mort et le danger abondent, mais il y a aussi ces enfants. Tu connaîtras un grand bonheur.

— J’ai bien trop d’ennemis, Mère.

— Tes alliés croissent en nombre à chacun de tes accomplissements.

— Êtes-vous sûre que je survivrai pour siéger sur le Trône des Ténèbres ?

Son silence ressemblait aux mugissements du vent soufflant sur la plaine, recélant un soupçon de froideur qui parvint à me faire frissonner malgré les rayons du soleil.

— Vous n’en êtes pas sûre, poursuivis-je.

— Je peux voir plusieurs chemins et nombre de choix à venir. Certains d’entre eux te mèneront au trône, d’autres t’en éloigneront. Ton cœur se demande si c’est le trône que tu souhaites acquérir.

Je me rappelai ces moments où j’aurais échangé toute la Féerie pour passer mon existence entière en compagnie de Doyle et de Frost. Mais ce rêve s’était déjà évanoui.

— Si je voulais abandonner la Féerie pour partir avec Doyle et mes hommes, Cel me donnerait la chasse et nous massacrerait. Je n’ai d’autre choix que de prendre le trône, ou de mourir.

Elle s’appuyait maintenant sur une canne.

— Je suis désolée, Meredith. J’avais une meilleure opinion de mes Sidhes. Je pensais qu’ils se rallieraient à ta cause lorsqu’ils verraient que Mes faveurs étaient revenues. Ils sont bien plus égarés que j’aie même pu l’imaginer.

Sa voix était dense de chagrin, et je me sentis prête à fondre en larmes avec Elle.

— Il est peut-être temps d’offrir Mes bénédictions aux humains, ajouta-t-Elle.

— Que voulez-Vous dire ?

— À votre réveil, vous serez tous guéris, mais ils sont bien trop nombreux à la Féerie qui voudront te nuire ainsi qu’aux tiens. Repars dans les Terres Occidentales, Meredith. Va rejoindre ton autre peuple, car tu as raison, tu n’es pas seulement Sidhe. Peut-être qu’en voyant Mes bénédictions leur échapper et revenir à d’autres, cela les rendra plus attentifs.

— Vous m’utiliserez pour apporter de la magie aux mortels, c’est ce que vous voulez dire ?

— Je dis que si les Sidhes se détournent de Moi et des Miens, alors nous devrions aller voir s’il existe d’autres esprits et cœurs plus reconnaissants.

— Mais les Sidhes ne sont que magie, Mère, contrairement aux humains.

— Le fonctionnement même de leurs corps est magique, Meredith. Cela tient entièrement du miracle. Va dormir à présent, et réveille-toi reposée, en sachant que je ferai pour toi tout ce qui est en Mon pouvoir. Je m’adresserai de vive voix à ceux qui me prêteront attention. Quant à ceux qui m’ont fermé l’accès de leur cœur et de leur esprit, je ne pourrai que placer des obstacles sur leur chemin, dit-Elle en faisant à mon intention un geste de la main, qui avait à nouveau rajeuni, avant d’ajouter : Repose-toi maintenant, et à ton réveil, retourne dans le monde des mortels.

Puis la vision se dissipa. Je me réveillai au lit en compagnie de mes hommes. Ma main lacérée par les épines ne me faisait plus souffrir et je pus la dégager afin de nous libérer, Sholto et moi, de ce lien acéré. Une pensée suffisamment forte pour me réveiller, lorsque la couverture de pétales remonta de sa propre volonté sous mon menton, comme une mère qui vous borde quand on est tout petit, et j’eus à nouveau l’impression que rien ne pourrait me faire du mal. Maman était là et tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Un instant, je trouvai bizarre que cette sensation diffuse de la présence de la Déesse ait été bien plus réconfortante qu’Elle l’avait Elle-même été sur la colline. Puis je sentis l’effleurement d’un baiser sur mon front et perçus Sa voix, la voix de Mamie.

— Dors, Merry ma p’tite. J’veille sur toi.

Et comme quand j’étais enfant, plus que convaincue, je m’assoupis.

Les ténèbres dévorantes
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